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223 rue des pyrénées

Publié le par drink 75

 

Au 223 de la rue des pyrénées, un homme dort allongé sur le trottoir. Non il somnole. C'est le matin, il est allongé sur un amas de carton. Il écrit une lettre dans sa tête a sa fille qu'il ne reverra sans doute jamais. "Je dois te parler mon enfant. Essayer d'expliquer. Te dire comme nous t'avons souhaitée avec ta mère. Te raconter comme nous nous sommes battus, déchirés, interrogés, comme nous t'avons physiquement désirée. Je veux que tu saches. Je veux que tu comprennes. Tu sais, aujourd'hui encore, quand je pense à ta mère, je pense à toi. A moi aussi parfois, au bonheur de tous les instants. A celui que j'ai failli être, à celui que je ne serai jamais. Ta mère avait attendu 40 ans pour être enceinte. Arrêter de boire, arrêter de fumer, arrêter de sortir, d'errer dans la nuit. Je veux que tu saches ma petite, ma toute petite enfant, ta mère a fait tellement d'efforts. C'était comme si toutes ces années de grisailles, d'esprits qui se dévorent, comme si toute la douleur empilée, comme si le malheur se dissipait. Je me souviens comme tu bougeais dans le ventre de ta mère, et parfois dans la nuit, pendant que ta mère dormait d'un sommeil agité, je me souviens avec précision que je me penchais et que je te murmurais des paroles apaisantes à travers son ventre. Je me souviens de la fatigue de ta mère quand il fallait monter les escaliers pour remonter à notre appartement, je me souviens quand elle s'asseyait sur les bancs dans la rue, et comme elle caressait son ventre, comme elle te berçait pour que tu t'endormes. J'ai le souvenir aussi de ses colères, aussi soudaines que courtes, je me souviens de ces moments où elle se tournait vers moi et me disait sa fatigue et sa peur en l'avenir. Je la prenais dans mes bras et parfois elle pleurait. Je caressais son beau visage et je lui disais que tout irait bien, que nous serions heureux tous les trois. Nous avons acheté une voiture, juste avant que ta mère accouche, pour le présent et pour l'avenir. Je me fichais de cette voiture, c'est juste ce qu'elle représentait qui me fascinait, l'avenir, nous trois, notre vie. Je me souviens j'étais heureux de cela, ne sachant rien de l'avenir pourtant, n'ayant aucune certitude. Mais je tenais les clés à la main et je les regardais, comme on regarde un trésor. Je t'ai imaginée à l'arrière, riant, pleurant, chantant. Je t'ai imaginée ma toute petite. Et j'ai versé une larme. Tu seras une fille au prénom impossible. Je n'ai pas voulu contrarier ta mère, elle avait de drôles d'idées sur les prénoms, mais je m'en fichais un peu. Tout à la joie de ton arrivée. Je ne sais où elle avait déniché ce prénom totalement saugrenu. Ma toute petite, ma toute belle enfant, toute de sucre et d'orge, de cannelles et de couleurs, mon enfant je t'appelais différemment. Je ne parvenais pas à prononcer, ingérer, comprendre ce prénom. Je dirais ma toute belle, ma toute petite, mon bel amour, je t'appellerai autrement. Tu me souriras. Je te parlerai de tes grands-parents, de mes parents, ils ne seront plus là pour t'admirer, alors je te parlerai d'eux. Te montrerai des photos. Tes autres grands-parents seront encore là, pour te raconter  leur histoire, pour te raconter ton histoire. Le pays d'où ils viennent. La chaleur de leur voix et de leur accent te réchauffera le cœur. Mon amour. Tu seras comme un lien entre ta mère et moi, comme un pont pour relier nos deux solitudes antagonistes. Ma toute petite, mon bel amour, mon adorée je cherche encore les mots pour exprimer l'amour que j'ai eu pour toi. Que j'ai eu ? Que j'ai ? Cet amour oh mon amour, cet amour tu ne peux pas le deviner. Tu ne le connaitras jamais. Ce n'était que toi, que ta mère et que moi. Juste nous. Elle et moi. Et toi ou étais-tu ? Je t'ai cherchée longtemps, si longtemps, au bout du monde, au bout du vide. Je me penche par la fenêtre du train, je m'immerge dans la langueur automnale, dans le mi-froid du début de la matinée. Je regarde les enfants qui se vont à l'école. Je me demande où tu vas à l'école, à quelle heure tu te prépares, comment tu t'éveilles, comment tu t'endors la nuit. Ou es tu ? As-tu seulement existé mon enfant, as-tu seulement vécu, es-tu seulement sortie du ventre de ta mère. Je me noie quand je pense à toi tu sais. Je ne comprends pas ce qui m'arrive, je ne parviens pas à vivre. Loin de toi, je suis loin de moi tu sais. Loin de tout. Je veux vivre pour toi, pour moi, pour tous les autres. Pour ce que nous sommes et ce que nous ne serons pas. Je veux m'immerger dans la vie, je veux te prendre pas la main et t'emmener, loin de toute cette civilisation. Un petit sourire sur tes lèvres, un cœur qui bat un peu plus fort. Je veux t'emmener sur la grande roue à Pokhara, voir le manège de petit pierre. Je veux, que tu ris, que tu pleures, que tu t'émeuves. Je veux que tu sois vivante ma toute petite. Je veux que tu sois encore parmi nous, je veux que ta mère soit en face de moi et me regarde amoureusement. Je veux que tu prennes ton rond de serviette à table. Je veux tout cela. Pourquoi tu n'es plus la ? Pourquoi ta mère n'est plus ici ? Je t'aurai emmenée parfois, tu aurais mis ta main dans la mienne, nous serions allés au jardin de Belleville, tu aurais sauté dans l'eau de la fontaine, ou alors nous aurions fait le tour du lac au parc Montsouris, ou alors nous aurions couru dans le parc des Buttes-Chaumont en tombant et roulant dans l'herbe. Nous aurions mangé une glace au printemps, je me souviens, nous aurions un peu marché et tu aurais râlé car tu aurais eu mal aux pieds et tu aurais commencé à chouiner pour que nous prenions le métro. Tu aurais dit papa, sois raisonnable, je marche déjà assez avec maman. Alors comme tu étais mon enfant unique, et peut-être parce que tu étais la seule, je t'aurais prise dans mes bras, et j'aurais dit d'accord on prend le métro. Dans le wagon, tu tournerais autour de la barre, tu danserais autour en riant, et les autres passagers te regarderaient, admiratifs de ton bonheur et ta joie de vivre, de ton corps souple et gracile. Puis fatiguée, tu t'assoirais sur mes genoux et me demandant ce qu'on ferait à la maison. Si maman nous rejoindrait. Tu sais bien qu'elle est en voyage je dirais. Le soir avec la fatigue, tu pleurerais un peu en disant pourquoi ma mère est toujours en voyage, pourquoi elle m'abandonne. Je te regarderais un peu désemparé. Sans savoir que te dire. Tu t'endormirais ta main dans la mienne. Je serais un peu triste aussi, de l'absence de ta mère. Ma toute petite, ma tout petite enfant...Mon petit morceau de moi, d'elle aussi...Ou est ta mère ? Je ne sais plus vraiment, loin si loin, si loin elle est partie, si loin, elle ne reviendra pas, tu le sais je crois, je le sais aussi, et même, même si elle revenait, elle ne serait plus là. Parmi nous. Parmi toi et moi. Elle ne serait plus telle que nous l'avons connue, telle que nous l'avons aimée, telle que nous avons cru qu'elle serait. Nous ne l'avons qu'imaginée je crois ta mère, nous ne l'avons que devinée, qu’espérée. Je me demande parfois si je l'ai vraiment connue, si ce n'est pas une chimère à laquelle je m'accroche. Je me demande tu sais. Mais non, puisque tu m'en parles, ma tout petite, mon adorée. Ta mère a réellement existé puisque tu me demandes souvent de ses nouvelles. Ou est-elle me demandes tu ? Ou est ma mère ? Je te regarde ma toute petite, mon adorée, je te regarde, je ne sais si j'existe, si tu existes, si ta mère existe, je ne sais pas si nous sommes encore une famille. Si nous sommes dans le champs des possibles, si nous sommes une illusion, si nous existons réellement. Tu ne sais pas toi si ta mère existe ma toute petite, je te regarde qui cours de ton pas mal assuré, je te regarde et je me demande aussi si ta mère existe réellement. Je me demande, souvent, parfois, ce qui nous a réunis un jour, ce que nous sommes encore et toujours, si nous nous sommes même connus. L'homme essuie les larmes qui coulent sur ses joues, il renifle, puis enfonce son visage dans un carton, comme pour disparaître.

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