363
L'immeuble est assez joli au 363 de la rue des pyrénées, un peu comme les HBM en brique rouge qui jalonnent les boulevards des maréchaux, il doit dater des années 20 ou 30, un truc dans le genre, au pied de l'immeuble. Au second étage de l'immeuble, un homme prépare son suicide. Il est toujours un peu au bout du rouleau quand noël arrive, quand les gens passent leur temps a faire un pseudo-bilan comme si la vie était un classement d'équipe de foot ou une connerie de ce style. Dans la matinée, il avait lu sur le facebook d'une vague connaissance le classement de ses 10 films préférés de l'année. Il se demandait quel type de personne pouvait penser que ça intéressait les autres, le classement de ses 10 films préférés, le classement de ses 10 livres, le classement de ses 10 amants ou maîtresse de l'année. C'était quoi ces conneries ? Les journaux regorgeaient de cela, comme si la vie devait absolument avoir une instantanéité, comme si on devait tout voir, tout lire, tout de suite. Et tout classer, putain, ça lui rappelait l'école, cette connerie inventée par l'homme pour créer des machines. De toutes façons il n'allait plus au cinéma, ce n'est pas seulement qu'il n'avait plus d'argent, c'est juste qu'il n'avait plus envie. Il lisait encore beaucoup mais c'est a peu-près tout. L'essentiel de ses journées, c'était fréquenter des collègues complétement abrutis, exécuter un travail sans intérêt. Il avait depuis longtemps ce soupçon d'inutilité qui lui vrillait tout le corps. Vivre ? J'aimerais mieux ne plus, j'aimerais mieux ne pas, se dit-il ce matin là, parodiant Bartleby, alors qu'après s'être branlé au réveil en pensant a des corps inconnus, il regardait la circulation éparse de la rue des pyrénées. Si le regard portait plus loin, il voyait le marché de la place du guigner qui longeait la rue des pyrénées jusqu'au croisement avec la rue de ménilmontant. J'aimerais bien manger une banane avant de mourir il se dit en se dirigeant vers la douche, ou l'attendait posé sur le rebord de la douche le gel douche pamplemousse-fleurs de frangipanier acheté au franprix d'en face. Alors que l'eau coule sur sa tête, il se demande comment il pourrait se fumer, après tout c'est bien beau de prendre des décisions de ce genre mais il faut ensuite les mettre en pratique. Un dimanche matin au 363 rue des pyrénées, un homme pense au suicide mais une bonne douche va dissoudre tout cela. Ou peut-être pas.