120 rue des pyrénées
Au 120 rue des pyrénées, ma mère entre dans ce qui était ma chambre quand j'étais jeune et dans laquelle je suis revenu depuis quelques semaines. Il est très tôt. J'ai changé mes horaires de travail pour être présent le matin et la nuit. Elle me dit je crois que ton père est en train de mourir. Je me lève, j'enfile mes lunettes, je ne prends pas le temps d'aller mettre mes lentilles ce qui est en général le premier de mes gestes. Mon père pousse des grognements dont je n'arrive pas a savoir si c'est de la douleur ou s'il veut dire quelque chose. Nous restons ainsi quelques minutes. Ma mère se décide a aller préparer le café quand elle comprends que mon père est toujours vivant. Je m'assieds sur la chaise a côté du lit, je prends sa main, il a les yeux grands ouverts, je me demande s'il souffre. Son cœur est celui d'un centenaire m'a dit le médecin, vous savez il me dira avec un demi-sourire un peu triste, il est en pleine forme votre père, hormis son cancer, il est en pleine forme. Justement je me dis, il est tellement en pleine forme qu'il tient le coup, il repousse des limites, il n'abandonne pas. Je me demande s'il souffre, si ces grognements ne sont pas l'expression d'une douleur. Il ne peut plus rien avaler, il semble totalement déshydraté. Dehors il neige, mais l'appartement de mes parents est comme un eden surchauffé. Tous les radiateurs sont poussés au maximum, je pourrais me trimbaler en maillot de bain dans l'appartement tellement il fait chaud. Ma mère revient, je sais qu'elle n'a sans doute pas dormi de la nuit, allongé dans le lit avec mon père. Je sais qu'elle est épuisée. Je me demande combien de temps cela va encore durer. Dans quelques heures mon père sera mort. Dans son lit de l'appartement du 120 de la rue des pyrénées, mon père est mort alors que je n'étais pas là. J'étais parti au travail en fin de matinée. Le soir en revenant du travail, alors que je tanguais dans le métro dans un état vaporeux, alors que je me demandais dans quel état il serait, j'ai vu l'homme mort sur le lit et je me suis dit qu'enfin il ne souffrait plus. Ce n'est pas que je souhaitais sa mort, c'est juste que je voulais un répit pour lui, nos vies sont comme des pointillés sur une immense feuille blanche. Je regardais ce visage encore vivant malgré la maladie et la mort. J'ai pensé que c'était bel et bien fini, et c'est comme si j'étais arrivé en haut de la montagne, à la fin de l'ascension. Il allait falloir entamer la descente maintenant, le reste de la vie ne serait sans doute plus qu'une descente sans fin. Ce n'était pas triste de penser cela, ce n'est pas la proximité de la mort qui me rendait un peu mélancolique. Ma vie n'était pas finie. C'est juste que maintenant il fallait entamer la descente de la montagne. J'ai regardé le visage de mon père. Il était mort.