389 rue des pyrénées
Le premier rendez-vous c'est celui de 9 heures avec l'homme qui n'a sans doute rien du tout, il a juste 75 ans mais ce n'est que cela et il peut lui répéter mais l'homme ne veut pas l'entendre, dès qu'il tousse il vient, dès qu'il crache il vient, dès qu'il dort mal il vient, dès qu'il a mal il vient, dès qu'il est angoissé il vient. Le médecin lui répète que ce n'est rien mais l'homme ne veut pas l'entendre, il a 75 ans, un jour il aura peut-être 80 ans, ou peut-être 85 ou peut-être plus encore, et il voudrait lui dire que ça ne s'arrangera pas mais il ne peut que l'ausculter et l'écouter. La vieillesse n'est pas un naufrage c'est juste un putain de rivage qui ne laisse la place a rien d'autre qu'un avenir encore plus incertain que les autres vivants. La femme de 10 heures passe son temps a répéter que tout est de la faute des étrangers, qu'avant on était plus heureux, il se demande si ce ne serait pas un bien de donner du cyanure a cette bonne femme désagréable mais il doit la soigner c'est son serment, il se dit que si elle était moins haineuse et moins aigrie, elle souffrirait moins. Plus tard il reçoit la femme un peu à côté de ses pompes qui semble toujours totalement dépassé par les évènements, qui semble toujours se demander ce qu'elle fait là, même dans son cabinet, il pense pour sa part que sa place est en hôpital psychiatrique, il pense pour sa part qu'elle est folle mais il la soigne. En in de matinée il voit le cancéreux et regarde les analyses, il comprend que c'est sans doute la fin, se demande si l'oncologue lui a dit les choses en face, il voit dans les yeux de sa femme qui l'accompagne qu'elle sait la vérité. Il aime bien ce brave homme mais il ne peut pas lui dire réellement les choses, ce n'est pas son rôle, il doit juste suivre son état de santé, il n'est pas cancérologue il n'a pas pouvoir de vie et mort sur les gens, il est juste là pour l'apaisement, pour un peu de réconfort. Pendant un moment de répit entre deux rendez-vous il regarde le bus 26 déverser son flot de voyageurs et d'autres gens monter dedans pour aller vers la place de la nation. Un provincial ou un touriste prend le métro, un parisien prend le bus se dit-il. La jeune femme suivante, une prostituée d'origine chinoise qui sillonne le boulevard au métro belleville, elle parle un français acceptable, il lui donne ce qu'elle demande, il lui conseille d'aller voir un gynécologue comme chaque fois qu'il la voit, il ne sait pas si elle y va vraiment. Les gens défilent dans son cabinet, il les connait presque tous, depuis le temps qu'il tient ce cabinet au 389 rue des pyrénées, il reçoit les enfants des enfants qu'il a eu, il devrait prendre sa retraite, mais il ne saurait pas quoi faire, sa vie est ici, au milieu des siens, a belleville, il habite ici, connaît tout les commerçants. Parfois il quitte son cabinet, pour signer un avis de décès, soigner quelqu'un qui est mourant, une fois il y a très longtemps il a procédé a un accouchement pour une jeune fille qui avait des maux de ventre. Elle s'est suicidé quelque temps plus tard, le père de l'enfant était son propre père, il est en prison ou peut-être est-il sorti depuis. Il ne sait pas ce que l'enfant est devenu. Il sait que même s'il ne tenait plus son cabinet, il resterait ici, soignant les pauvres, aidant les gens, il ne sait même plus quel est vraiment son métier, ses confrères le méprisent car il n'a jamais fait autre chose que recevoir les gens du quartier dans son cabinet, il n'a jamais fait carrière. Il boit un peu tout seul le soir. Le dernier rendez vous de la journée est cet homme qui veut arrêter de fumer. Il lui semble que c'est trop tard en entendant sa toux. Les gens se soignent quand c'est trop tard. Ou trop tôt. Alors que la nuit tombe sur la rue des pyrénées il regarde les enfants qui sortent de l'école françoise dolto de l'autre côté de la rue. Et puis il ferme les yeux et ouvre la fenêtre. Juste pour entendre les bruits de la ville. Juste pour entendre le bruit de la rue de pyrénées.