Au 346 rue des pyrénées, dans un tout petit appartement du rez de chaussée, un homme noircit des pages. Ce n'est pas forcément très compréhensible mais voici ce qu'il écrit : " Je suis né a paris, j'y ai toujours vécu, je suis comme qui dirait un parisien qui ne sort jamais de la ville. Je suis un paysan de la cité, un type qui n'est pas capable de sortir de la capitale. Le métro fait partie de ma vie, le métro est en moi, toutes les lignes sont mes lignes, toutes les stations sont mes stations. Ma ligne de métro, c'est la ligne 15, une ligne qui n'existe pas. Il y a 14 lignes de métros à paris, seize si on compte la 3 et la 7 bis. Ma ligne c'est la ligne 15. C'est la ligne de ma vie, c'est ma ligne de vie. Et ça commence par Chevaleret. Je suis né la, à l'angle du boulevard de la gare. Il changera de nom plus tard, il deviendra le boulevard Vincent Auriol. En même temps, c'est vrai que la boulevard de la gare ne menait a aucune gare. Il menait quai de la gare qui lui-même n'était pas le quai d'une gare mais le quai de la Seine. Peut-être avant mais je m'en fous. Je n'ai aucun appétit pour l'histoire, je n'ai pas d’appétence connaître l'origine des noms, des places, des rues, je m'en contrefous. Quand j'avais dix ou quinze ans, le boulevard de la gare est devenu le boulevard Vincent Auriol. Un président oublié de la quatrième république, il faut dire que les présidents de la quatrième république, ils sont tous un peu oublié. Mon premier travail était sur ce boulevard, dans l'hypermarché qui se trouve au métro nationale. Plus tard, un écrivain décrira cet endroit comme un temple de la consommation. J'y ai bossé un mois, c'était l'été j'avais 16 ans. Plus tard, c'est a cette station que je viendrais voir ma mère jusqu'à qu'elle meure un samedi en début d'après-midi. C'est la que j'assisterais à la levée de son corps, à la fermeture de son cercueil, que je monterais dans le fourgon pour l'emmener vers le cimetière. Les Gobelins. Je vivais là au moment ou j'ai eu ma première carte orange. Comme un sésame pour visiter Paris. C'était juste pour aller à l'école jusqu'à Sully Morland, c'était pour s'entraîner a l'avenir, a vivre déjà comme ce que serait ma vie de parisien. Se lever le matin pour prendre le métro et rentrer le soir avec le métro. Ce n'est pas une impression d'asservissement à l'époque, je crois que c'est un peu l'inverse, c'est le début de la liberté. C'est la fin du primaire, c'est le début de la sixième, c'est le moment ou l'on pourra aller seul à l'école, l'instant ou l'on quitte la main de sa mère, le regarde de son père. Cet instant tout a fait fascinant ou l'on sait que l'on va quitter le cocon familial. C'est le collège, c'est le début des boums, c'est les sorties avec les copains, les mercredis après-midi a glander au centre commercial, les premiers films que l'on va voir tout seul. La vie semble inconnu, l'avenir ouvert a des promesses, on ne sait pas encore, on ne devine pas déjà, que la vie sera beaucoup moins drôle que prévu, beaucoup moins détendu. La vie tu crois souvent que ce sera un vendredi soir, avec un week-end remplis de promesses et en fait c'est souvent comme un dimanche soir, un peu glauque, un peu triste, ou tu as l'impression que tu n'as rien accompli de formidable au cours de ce week-end. A l'époque, la carte orange c'était vraiment une carte, dans un plastique. Il y avait encore les premières classes dans le métro c'était tentant, les gens étaient écrasées en seconde et en première tu pouvais te la couler douce, assis sur un siège. C'était tentant.A l'époque, la carte orange c'était vraiment une carte, dans un plastique. Il y avait encore les premières classes dans le métro c'était tentant, les gens étaient écrasées en seconde et en première tu pouvais te la couler douce, assis sur un siège. C'était tentant. Liberté. Ce n'est plus tout à fait paris, c'est une de ces stations de métro qui se situe en proche banlieue. La première fille que j'ai embrassé à la sortie de cette station, nous étions dans la rue de Paris, revenions de la foire du trône qui se situe rue de reuilly non loin de la, et je me souviens que je lui ai pris la main pour la ramener chez elle. Elle s'appelait Christine, elle portait des pantalons de toutes les couleurs avec des kickers multicolores. On marchait dans la rue de Paris, on avait quoi 14 ans peut-être 15. Pour la première fois j'ai mis ma langue dans une bouche inconnue et j'ai ressenti une sensation de bien-être dans le bas du ventre. Je l'ai laissé devant son immeuble et je l'ai regardé monter les escaliers et franchir la porte en verre transparent de son immeuble. Je n'ai jamais embrassé de nouveau Christine, c'est un peu flou dans mon esprit. C'était presque la fin de l'année et nous ne nous sommes jamais vraiment revu. Sully Morland. Mon premier trajet quotidien ce fut gobelins sully morland. Quand j'étais jeune, oui vraiment jeune, sous giscard d'estaing, il n'y avait pas deux branches à la ligne 7. Dans un sens elle allait jusuq'a ivry et dans l'autre sens elle se terminait porte de la villette. J'ai pris très jeune le métro dès mon entrée en sixième, j'allais tout seul à l'école. Tout les jours. A mon entrée en sixième. Ca devait être à la fin des années soixante dix. Des dizaines d'années plus tard, je reprendrais a nouveau le même trajet, pas tout à fait mais presque. La sixième ce fut le début de mon cauchemar scolaire. Une suite d'échec, de ratages, de non réussite absolu. Je ne sais pas pour quelles raisons je n'ai jamais rien fichu à l'école, je crois que je m'ennuyais, déjà. On croit que la vie sera plus drôle une fois l'école terminé, que l'aventure commence, mais en fait, ça ne se passe pas ainsi. L'essentiel du reste de son existence s'avère un effort pour payer des factures grâce à un boulot sans intérêt. Je me souviens que nous laissions passer les métros avec mes camarades de classe pour prendre les nouveaux rutilants. Il suffisait d'appuyer sur un bouton au lieu de soulever le loquet comme sur les anciens wagons de la ligne 7. Belleville. J'aime belleville ménilmontant, ce n'est pas mon quartier d'origine. J'y suis venu tard, comme on vient à une femme qu'on découvre quand la vie est est déjà bien entamé. Comme je suis venu a toi, je me souviens. c'est comme qui dirait mon nouveau quartier. Il me regarde, je lui dis que je viens de la part de madame bidule. Il me semble un peu psychorigide. Je crois qu'il s'en fout surtout. Je suis en train de terminer un polar norvégien, le personnage principal est un alcoolique qui porte des docks, qui fait n'importe quoi, qui couche avec tout le monde et avec personne. Ça me rappelle quelqu'un. Au travail la bonne femme un peu allumée, me dit vous devez être d'origine viking, avec votre tête et votre physique. Elle me dit mon fils est un drogué. Elle doit avoir de la chance votre mère de vous avoir comme fils, elle en a de la chance elle me dit, vous êtes tellement sympa et formidable. Tu m'étonnes je pense, m'avoir comme fils c'est vraiment un truc chouette, faut juste avoir le coeur bien accroché, le portefeuille bien garni, et les sentiments assez discrets. Les douleurs esquissés un peu, la langueur monotone de ton corps, de son corps, de toi de moi de tout les autres. Nos lèvres qui se ne rencontrent pas, nos dents qui ne se heurtent plus. Il restera ça de ma vie, je ne me souviendrais pas de la moitié des filles avec lesquelles j'ai couché, des lèvres que j'ai embrassé, des corps que j'ai étreint. Il ne me restera rien de ma vie. C'est au métro belleville que je t'ai embrassé sur le quai du métro, et je me souviens comme les larmes coulaient sur les joues de ton existence. Nous sortions de ce restaurant pas cher qu'on appelle chez kiki mais qui ne s'appelle pas chez kiki. Il faisait nuit et tard, tu t'appellais Julie comme la moitié des filles nées au début des années quatre-vingt ou au milieu. La soirée agonisait je t'ai dis que j'étais désolé pour ta mère et tu continuais de pleurer et puis après tout je ne suis pas médecin mais je sens qu'elle pourrait guérir. Tu avais un jolie visage comme les aiment les garçons difficiles et il me semblait que tu avais les cheveux trop longs mais il me semble presque toujours que les filles ont les cheveux trop longs. Je crois que je ne t'ai jamais revu ou alors je ne m'en souviens pas. Tu es partie vivre en province je crois, ou peut-être bien que c'est moi. C'est un mystère pour moi que je me souviens de cette scène, je pense que c'était l'été car dans mon souvenir tu portais un tee-shirt des ramones et pas de veste par-dessus." L'homme parfois s'interrompt. Mais il semble parti pour écrire tout la nuit. Il semble ne jamais devoir s'arrêter, comme une frénésie qu'on ne peut arrêter.