263 Rue des pyrénées
Au 263 rue des pyrénées, un homme enlève son noeud de cravate. Il retire sa chemise. Au 263 de la rue des pyrénées, voici ce qu'il écrit. " Nous sommes une petite trentaine de personnes à l'enterrement de mon père. Un peu de famille, quelques amis éloignés, son fils unique. Sachant l'aversion de mon père pour la religion, j'ai opté pour cette cérémonie civile qui me semble respecter ce qu'aurait pu être ses dernières volontés. Je n'avais pas parlé de la mort avec mon père, encore moins de la sienne. Il était décédé assez soudainement mais de manière sereine. On l'avait trouvé dans son lit, un livre posé sur sa couverture. D'après le médecin, son cœur s'était éteint paisiblement. Je connaissais presque toutes les personnes assises dans la petite salle du funérarium du père Lachaise, mon géniteur est mort comme il a vécu je me suis dis, de manière effacée et discrète. Passager d'un bateau où il ne voulait pas monter. Navigateur improvisé d'une vie sans doute vaine. Je me demandais toujours ce qu’était sa vie, depuis que je le connaissais, depuis qu'il était apparu dans la mienne. Je ne l'avais jamais considéré comme un inconnu, plutôt comme une connaissance lointaine. J'attendais sagement que le cercueil brûle et qu'on me remette l'urne. Ensuite je devais dire un petit laïus. Je n'avais rien préparé, je n'avais rien à dire. Nos rapports étaient cordiaux mais lointains, et je n'aurais su prononcer que quelques phrases banales sur lui. Il méritait mieux. Je me suis donc levé à la fin de la cérémonie, remerciant les personnes pour leur présence et ne trouvant rien de plus à ajouter. En sortant, alors que le soleil et les nuages livraient une bataille pour s'imposer sur paris, j'ai remarqué une vieille femme qui semblait très tourmentée et qui me dévisageait comme si j'étais une sorte d'apparition. Je me suis demandé si cette femme avait toute sa raison et si elle n'était pas égarée. Peut-être qu'elle venait juste assister aux cérémonies funéraires parce que qu’elle n’avait rien de mieux à faire, ce qui ne me paraissait pas plus incroyable que d'assister à un match de football, peut-être qu'elle connaissait mon père. J'ai ressenti tout à coup une forme de tristesse, comme une nostalgie de ce qui n'avait pas été. Je me rendais compte que je ne savais rien sur mon père, ne connaissais ni ses amis, ni ses habitudes. La proximité que nous avions un peu trouvée depuis que j'étais adulte, n'incluait pas l'intimité. C'est comme si mon père, désormais, devait vivre dans mon souvenir, et comme si, je n'étais pas capable d'animer le film de son existence. Les murs qu'il avait patiemment érigés autour de sa vie, semblait le rendre encore plus lointain."